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Quel conservationniste êtes-vous ?

Quel conservationniste êtes-vous ?

« Repenser la conservation est l’essence même de BlueSeeds. Pour développer les réflexions puis de nouveaux modèles, il est nécessaire de s’accorder sur cette notion de conservation. »

Si vous interrogez votre entourage, la réponse est loin d’être évidente. Nous avons fait l’exercice au bureau, nous étions partis pour un débat passionné avec des avis très polarisés : « Conserver, c’est préserver l’environnement tout en permettant le développement ! », « Parce que l’Homme détruit l’environnement, nous devons faire de la conservation, la conservation résulte de la destruction », « Conserver, c’est protéger l’environnement des prédations humaines », « Conserver, c’est une approche plus souple comparée à la protection intégrale », « Conserver, c’est un processus participatif avec les populations locales », « Conserver, c’est mettre sous cloche » etc. Des arguments bien différents pour une définition finalement très élastique. Néanmoins, nous avons remarqué que la conservation semble décrire un certain rapport à la protection de l’environnement. Finalement, qu’est-ce que la conservation ? Pourquoi est-il si difficile de s’accorder sur une définition ?

Un débat historique entre naturalistes et forestiers au fondement des approches de conservation

Historiquement, la conservation résulte d’une opposition entre deux approches environnementalistes américaines au début du XXème siècle : l’approche préservationniste qui valorise le respect et la sauvegarde de la nature en la mettant « sous cloche » (conception biocentrique) et l’approche conservationniste qui tend à protéger la nature en acceptant la présence de l’homme sans remettre en question son exploitation (conception anthropocentrique)[1].

Le mouvement conservationniste popularisé par le chef du service des forêts américain Gifford Pinchot, vise à l’utilisation maîtrisée, sage et respectueuse des ressources naturelles. Le modèle préservationniste qui a façonné les parcs nationaux américains se fonde initialement sur une vision très esthétique et patriotique de la nature [2]. Selon les défenseurs des projets de parcs nationaux : « Les parcs et réserves sont sources de vie […] pour les citoyens fatigués, énervés ou trop civilisés […] partir à la montagne, c’est rentrer à la maison… » [3]. On observe, à travers cette citation de John Muir, l’un des premiers naturalistes américains de la fin du XIXe, une vision dichotomique nature/culture avec la préservation stricte d’une supposée pureté originelle que l’on retrouve dans la philosophie des Lumières. En effet, dans un contexte de colonisation de l’ouest américain (repousser la « frontier ») quand il écrit « rentrer à la maison », il fait alors référence à un « état de nature » [4] prévalant sur l’urbanisation des modes de vie. De ce fait, le mouvement préservationniste s’inscrit dans une vision esthétique de la nature dans un premier temps, mais a parfois évolué vers une forme plus radicale avec la deep ecology dans laquelle est privilégié une vision de la nature sauvage où l’homme serait perçu comme un danger [5].

Il est primordial d’appréhender les fondements de ces deux conceptions conservationnistes et préservationnistes initialement scientifiques puisqu’elles se diffusent ensuite dans le monde entier au cours du XXème siècle et perdurent aujourd’hui dans les débats environnementaux autour de la création d’aires protégées.

Qu’en est-il de la conservation marine ?

Plus spécifiquement, la conservation en tant qu’approche et science regroupe plusieurs définitions notamment dans son rapport avec le développement [6]. Les questions de propriétés et de gestion spatiale différent du domaine terrestre au domaine marin, ainsi, les enjeux de conservation divergent aussi. Il existe de multiples outils de protection de l’environnement marin avec des visées bien différentes : les réserves intégrales marines, les sanctuaires marins, les réserves communautaires avec un système de rotation des usages et interdictions, les parcs marins, les aires partiellement protégées [7], les aires protégées éducatives, etc. Se pose alors la question du rapport des sociétés à la « protection de l’environnement » en interdisant ou permettant un développement économique.

Puisqu’il n’existe pas de « bonne » manière de protéger l’environnement (au sens de consensuel), toute initiative relève d’une prise de position et d’une certaine vision politique du monde. Au sein de BlueSeeds, nous prenons en compte ces questionnements qui, nous pensons, vont être amenés à prendre une ampleur croissante ces prochaines décennies. Ayant à cœur de s’accorder sur une définition claire, nous choisissons de suivre celle de Michael Soule dans son ouvrage Conservation : Science de la rareté et de la diversité, 2013 : « La conservation recouvre les actions entreprises pour établir, améliorer et maintenir de bonnes relations avec la nature » [8]. Selon M. Soulé, la conservation est « une nouvelle discipline qui s’adresse aux dynamiques et problèmes d’espèces, communautés et écosystèmes perturbés ».

Adresser l’incertitude et la gestion de crise grâce à une approche pluridisciplinaire et systémique

La conservation marine est encore considérée comme une jeune discipline puisque l’océan demeure encore peu exploré et les interactions entre les différents systèmes bactériologiques, viraux, les groupes d’espèces animales, les pressions anthropiques et climatiques encore peu documentées. L’expertise ne peut s’appuyer sur un socle « suffisant » de données quantitatives et qualitatives et les outils de gestion et suivi sont toujours en cours d’élaboration [9]. Compte tenu du fort degré d’incertitude avec lequel doivent composer les gestionnaires, la conservation marine est aussi la « science de la crise » dans la mesure où les gestionnaires doivent apporter des solutions rapides et efficaces à des problèmes de conservation important : comme préserver une population menacée d’extinction. Enfin, la conservation a un triple objectif : la restauration, la protection et la gestion de la biodiversité. C’est pourquoi, il s’agit d’une science transdisciplinaire recouvrant la biologie, l’écologie, la biogéographie, l’écologie du paysage, la génétique des populations mais aussi l’anthropologie, les sciences économiques et la sociologie [10]. A l’image de Carl F. Jordan, nous envisageons la gestion de l’environnement pour pallier le gaspillage de l’environnement, son épuisement et son extinction [11].

Les défis étant posés, les difficultés pesées, BlueSeeds inscrit ses travaux de recherche et développement pour des outils au service des acteurs de la conservation en entendant la conservation comme un levier de développement « durable ». Nous faisons le choix de travailler sur une nouvelle approche de la conservation intégrée aux systèmes sociaux et à l’économie basée sur un travail transdisciplinaire, surtout enfin, d’insister sur une approche de conservation par et pour les acteurs locaux.

Et vous, quel conservationniste êtes-vous ?

Références

DUBAN F., « L’écologisme américain : des mythes fondateurs de la nation aux aspirations planétaires », Hérodote, n° 100, 2001, p. 56. 

BRUNET F., « Les parcs nationaux aux Etats-Unis », La Marche de l’Histoire, France Inter, https://www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-21-octobre-2015, diffusé le 21.10.2015 et consulté le 26.06.2020.

WORSTER D., A Passion for Nature: The Life of John Muir, Oxford, Oxford University Press, 2008. 

ROUSSEAU J-J., Du contrat social au principe du droit politique, Livre Premier, Chapitre VIII, [en ligne] http://athena.unige.ch/athena/rousseau/rousseau_contrat_social.html , consulté le 07.05.2018. 

DRENGSON A., INOUE Y., NAESS A., SNYDER G., The Deep Ecology Movement: An Introductory Anthology, Io Series, February 1995.

SANDBROOK C., What is Conservation?, Cambridge University Press, Vol. 49, Issue 4, 2015.

ZUPAN et al., “Marine partially protected areas: driver of ecological effectiveness”, Frontiers in Ecology and the Environment, published the 2nd of August 2018, consulted the 26.06.2020.

 “Actions that are intended to establish, improve or maintain good relations with nature”. SOULE M., Conservation Biology: The Science of Scarcity and Diversity, 1986.

ROQUEPLO P., Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, Paris, INRA éditions, 1997, p. 10.  

SOULE M., The “New Conservation”, Conservation Biology, Vol. 27, Issue 5, 2013.

JORDAN C.F., Conservation, Replacing Quantity with Quality as a Goal for Global Management., (Textbook), Wiley, N.Y., 1995.

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