Du site pilote à l’impact
Du site pilote à l’impact
« Répliquer les bonne initiatives », « passage à l’échelle », « scale-up », « diffusion des bonnes pratiques » etc. Aucune stratégie, politique de développement ou feuille de route portant sur les aires marines protégées ne sauraient faire l’économie de ces mots[1]. En effet, le processus d’intervention dans un système aussi complexe que la conservation marine consiste à appliquer une démarche scientifique du site pilote au passage à l’échelle. L’objectif inhérent à l’approche par site pilote est la réplication d’un succès :
- Tester une action au niveau local sur un site pilote. Cette première étape consiste à choisir un axe d’action. Par exemple favoriser l’entreprenariat local et l’écotourisme pour contrer l’installation du tourisme de masse et donc protéger les écosystèmes marins ou mettre en place un mécanisme de financement pour favoriser la petite pêche durable au profit du développement d’une pêche industrielle intensive,
- Evaluer le succès ou non de l’action de conservation. Cette deuxième étape consiste à évaluer d’une part les résultats du projet et d’autre part les impacts directs et indirects environnementaux et socio-économiques.
- Répliquer l’initiative en cas de succès pour le diffuser et améliorer l’efficacité d’autres projets de conservation. Pourtant, cette dernière étape est souvent omise par les différents acteurs de la conservation alors que pour viser l’efficacité et la durabilité elle demeure cruciale.
Répliquer, mais de quelle manière ?
Etant donnée l’importance fondamentale du contexte écologique et socioéconomique local, peut-on efficacement répliquer un projet conçu pour un territoire spécifique ? Qu’en est-il de la co-construction nécessaire d’un projet avec les populations locales pour assurer sa pérennité au long-terme et son acceptabilité locale ? Effectivement, répliquer une initiative réussie soulève de nombreux enjeux : la standardisation des projets de conservation, l’ignorance des spécificité locales etc. et peut ainsi conduire à l’échec du projet répliqué en raison de sa construction logique mal adaptée mais aussi du manque d’acceptabilité et d’engagement des populations locales.
Il existe différentes stratégies pour répliquer un projet de conservation ayant démontré des résultats et impacts positifs.
- La première stratégie que nous appelons « duplication» consiste à répliquer un mécanisme d’un site à un autre. Evidemment, le projet doit être adapté et la condition de succès doit demeurer un élément réplicable. Pour exemple, notre Blue Local Incubator développé à Lastovo en Croatie constitue un succès car la démarche entrepreneuriale s’est révélé être un levier indirect très efficace pour impliquer la population locale dans une démarche de conservation et de modèle économique durable [2]. Puisque le mécanisme de succès de « l’entrepreneuriat », n’est pas propre au contexte croate du projet, il est possible de répliquer ce projet sur d’autre sites dans la mesure ou les conditions sont réunies. Ici, les conditions de succès identifiées sont : 1. La mise en place conjointe de l’incubateur par un organisme local bien intégré et ayant une forte crédibilité ; 2. Avoir établi un solide réseau de partenaires intégrant la communauté locale.
- La seconde stratégie que nous appelons le « modèle cumulé» consiste à couvrir tous les enjeux prioritaires d’un site grâce à différentes activités de conservation. Si l’on prend l’exemple d’un site où l’enjeu principal de conservation est de réduire les pressions anthropiques sur les herbiers de posidonies, il est envisageable d’engager un premier projet sur la promotion durable de l’éco-mouillage pour réduire l’ancrage sauvage. Puis un second projet sur la génération de revenus alternatifs pour les pêcheurs au chalut afin de limiter leurs impacts. Enfin, un troisième projet sur la promotion de l’écotourisme afin de limiter l’urbanisation des zones côtière et le dragage de sable inhérent aux pratiques de tourisme de masse. Ce modèle permet de traiter un enjeu de conservation en décortiquant chaque pression et séquençant différents projets apporter autant de solutions. Inévitablement, l’efficacité et la durabilité de la démarche globale de conservation nécessite que chacun des projets soit pérenne et que le nouveau projet ne se substitue pas à l’ancien mais le complète. Cette méthode de réplication permet alors de générer des impacts cumulés.
- La troisième stratégie que nous dénommons « amplification » consiste à élargir la délimitation géographique du projet pour étendre l’impact positif local. Pour exemple, si un premier projet opère sur la dimension d’une commune insulaire, un second peut être étendu à toute l’île puis un troisième à tout l’archipel afin de réduire les pressions plus largement et d’avoir un impact à la mesure de l’écosystème dans sa globalité. Cela suppose une intégration plus large d’acteurs régionaux et d’amplifier le partage d’expérience entre les différents acteurs locaux.
Cette succincte réflexion sur les différentes stratégies de réplication nous permet d’élargir la focale des AMP (seulement) à une gestion intégrée des zones côtières (GIZC) afin d’englober plus largement les pressions anthropiques des côtes, le tissu économique local, les enjeux agricoles ayant un impact direct ou indirect sur l’environnement marin mais aussi les leviers d’innovations et d’entrepreneuriats. Ces stratégies rappellent la nécessaire première étape de diagnostic étendu [3] avant tout projet, le travail sur la théorie du changement du projet[4] afin de ne pas perdre l’objectif de vue : le changement final à atteindre. Ensuite, une fois le changement final ciblé, il est important de cerner la stratégie de réplication la plus pertinente et surtout de définir finement les conditions de réplication au préalable.
Réplication "organisée" VS réplication "naturelle"
Dans un passage à l’échelle de projet de conservation, il est crucial de distinguer la « pure diffusion »[5], c’est-à-dire la réplication de manière non planifiée dans le cadre d’un projet mais seulement par la médiation des pairs (gestionnaires d’AMP, acteurs locaux de la conservation), de « l’active dissemination », c’est-à-dire la réplication organisée à travers des organismes structurés (ONG, Agences de services, programmes internationaux etc.).
Pour exemple, dans le cas d’une réplication de l’initiative de conservation « Blue Local Incubator » (BLI : entrepreneuriat local au service de la conservation), ces deux types de réplication sont envisageables mais n’ont ni les mêmes canaux ni la même vitesse d’adoption. Par exemple, un BLI peut être répliqué de Croatie au Cap Vert grâce à un réseau d’organisations locales et internationales et à BlueSeeds, chargé de piloter le processus et d’agir en tant qu’intermédiaire (logique top-down). L’idée étant de transférer et adapter les compétences développées en Croatie au contexte Cap verdien. Ce modèle d’adoption peut alors être caractérisé de FAST-SLOW[6] puisque la dynamique est insufflée par les acteurs externes et, dans un second temps, adoptée par les acteurs locaux répondant à l’appel à manifestation d’intérêt d’entrepreneuriat bleu.
Par ailleurs, il est envisageable que le BLI puisse être répliqué « naturellement » de la Croatie à la Grèce par exemple grâce notamment à un échange informel entre gestionnaires d’AMP intéressés par l’initiative et souhaitant répliquer l’approche par eux-mêmes. Ce modèle d’adoption peut quant à lui être caractérisé de SLOW-FAST-SLOW puisqu’il émerge d’une initiative « bottom-up »[7].
Références
[1] Mascia, M. B. & Mills, M. When conservation goes viral: the difusion of innovative biodiversity conservation policies and practices. Conserv. Lett. 11, e12442 (2018).
[2] Pour plus d’information sur notre Blue Local Incubator voir onglet « Incubateur » et Fiche site « Lastovo, Croatie » dans Nos Réalisations.
[3] Voir article du LAB « Embrace the complexity with a broader diagnosis »
[4] La théorie du changement décrit la manière dont les activités entreprises dans le cadre d’un projet donnent lieu à une chaîne de résultats qui auront les incidences visées ou observées.
[5] Mills, M., Bode, M., Mascia, M.B. et al. How conservation initiatives go to scale. Nat Sustain 2, 935–940 (2019). https://doi.org/10.1038/s41893-019-0384-1
[6] Lowry, G., White, A. & Christie, P. Scaling up to networks of marine protected areas in the Philippines: biophysical, legal, institutional, and social considerations. Coast. Manag. 37, 274–290 (2009).
[7] Gelcich, S. et al. Alternative strategies for scaling up marine coastal biodiversity conservation in Chile. Marit. Stud. 14, 5 (2015).