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Combler le déficit de financement en conservation marine

Combler le déficit de financement en conservation marine

« L’expansion mondiale des AMPs sans investissement dans les capacités humaines et financières entraînera des résultats insuffisants en matière de conservation. »

Trouver des solutions efficaces pour protéger la biodiversité marine menacée est devenu une priorité mondiale. Dans ce contexte, les aires marines protégées (AMPs), qui agissent comme des réseaux de réservoirs de biodiversité, sont une pierre angulaire des politiques de conservation marine [1]. Les AMPs qui peuvent garantir une protection efficace peuvent également apporter des avantages considérables aux populations humaines grâce à des effets en cascade. Par exemple, les AMPs peuvent fournir à la pêche des prises durables et fiables (« effet de débordement »), jouant ainsi un rôle crucial dans les économies de subsistance ou de marché. Elles peuvent accueillir des activités de loisirs, apportant ainsi des avantages économiques aux communautés locales grâce au tourisme, tout en étant une source de bien-être pour les populations du monde entier. Ainsi, les AMPs doivent également être considérées comme un outil important pour le maintien de communautés côtières résilientes.

Toutefois, une protection efficace nécessite une bonne gestion, qui de fait, nécessite des ressources. Ressources humaines et budget, en particulier, ont été identifiés comme les principaux facteurs limitant l’efficacité des AMPs [2]. L’efficacité d’une AMP réside dans les effets écologiques mesurables d’une AMP, tels que l’augmentation de la biomasse en poissons, de la proportion d’habitats restaurés ou du nombre d’espèces marines par exemple. Les AMPs dotées d’un personnel suffisant produisent des effets écologiques presque trois fois plus importants que les AMPs dont les ressources humaines sont insuffisantes. Actuellement, 65 % des AMPs déclarent disposer d’un budget insuffisant pour les besoins de gestion basiques et 91 % des AMPs déclarent une capacité en personnel sur site insuffisante ou inférieure à l’optimum [3].

Les négociations internationales sur la couverture mondiale en AMPs post-2020 (post-Aichi) sont bien engagées, avec un objectif de 30 % de couverture. Dans le cadre de ces négociations, de nombreuses AMPs ont été inaugurées ces dernières années [4]. Cependant, « l’expansion mondiale des AMPs sans investissement dans les capacités humaines et financières entraînera vraisemblablement des résultats insuffisants en matière de conservation » [3]. Bien que certains pays, comme la France (pays possédant la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde), aient déclaré qu’ils consacreraient un tiers de cette couverture de 30 % (10 % du total) à ce qu’on appelle la « protection forte », ils ont encore beaucoup de chemin à parcourir. Dans la mer Méditerranée française et dans la zone française Atlantique-Manche-Mer du Nord, respectivement seulement 0,1% et 0,01% des eaux sont actuellement fortement protégées (activités d’extraction très limitées) ou totalement protégées (pas d’extraction) ; ces deux catégories sont considérées comme apportant des bénéfices écologiques et sociaux importants [5].

Ce manque de financement pour la protection de la biodiversité, avec ses effets néfastes sur la conservation et les communautés locales, est appelé « déficit de financement ». Au niveau planétaire, le fossé entre ce qui est nécessaire pour gérer durablement la biodiversité et maintenir l’intégrité des écosystèmes de la Terre, par rapport à ce qui est actuellement investi dans la conservation de la nature, se situe entre 598 et 824 milliards de dollars par an [6]. Les niveaux de financement actuels ne couvrent qu’entre 16 et 19 % du besoin global pour mettre un terme à l’érosion de la biodiversité. En ce qui concerne spécifiquement l’Océan, on estime que 175 milliards de dollars US par an sont nécessaires pour atteindre l’objectif de développement durable n° 14 de l’Organisation des Nations Unies (« conserver et exploiter durablement les océans, les mers et les ressources marines pour un développement durable »), tandis que les niveaux de financement actuels pour cela représentent 52 milliards de dollars US par an [7].

En 2015, Thomas Binet, fondateur de Vertigo Lab, a mené une étude pour MedPAN, le SPA/RAC et WWF Méditerranée – avec le soutien financier de la fondation MAVA, du Fonds Français pour l’Environnement Mondial et de l’Agence des Aires Marines Protégées – sur la situation financière des AMPs en mer Méditerranée [8]. Grâce aux données officielles de 14 pays étudiés, les auteurs ont calculé un déficit de financement de 700 millions d’euros par an pour atteindre l’objectif d’Aichi 2020, à savoir une couverture de 10 % de la Méditerranée par des AMPs gérées efficacement, les ressources financières actuelles ne couvrant que 12 % des besoins pour atteindre cet objectif. Historiquement, les AMPs méditerranéennes dépendent de deux sources de financement principales : les gouvernements et les donateurs. Cependant, ces sources ne sont clairement pas suffisantes et il est urgent que les AMPs s’assurent de nouveaux revenus, d’autant plus que les objectifs globaux de couverture en AMPs sont sur le point d’être multipliés par trois.

C’est à la suite de ce rapport que BlueSeeds est née en mars 2018, avec pour mission, entre autres, d’aider les AMPs à développer une stratégie financière solide et durable qui leur permettrait enfin d’atteindre leurs objectifs de conservation. La mission plus générale de BlueSeeds est d’explorer des voies alternatives de conservation reposant sur des sources financières indirectes comme l’entrepreneuriat ou des mécanismes de financement novateurs, dans une perspective d’économie bleue, afin d’améliorer l’efficacité, l’impact et la durabilité de la conservation. Les solutions proposées par BlueSeeds sont résumées dans les cinq solutions identifiées par Bos et al. (2015) :

  1. Stratégies financières pour la conservation marine.
  2. Recherche sur et développement de mécanismes de financement.
  3. Intégration de la planification financière dans la planification de la conservation.
  4. Mobilisation des entreprises pour réduire le déficit de financement de la conservation des écosystèmes marins.
  5. Détermination d’un champ d’action, de spécialistes et d’une terminologie propres au domaine émergent du financement de la conservation marine.

Ainsi, avec son approche et son équipe pluridisciplinaire, BlueSeeds se positionne dans le domaine expérimental et émergent du financement de la conservation marine, un domaine qui nécessite une collaboration entre secteurs (organisations multilatérales, usagers publics, exploitants de ressources, gouvernements, entreprises à but lucratif, organisations à but non lucratif, instituts de recherche et philanthropes) et une collaboration entre disciplines (planification de la conservation, écologie marine, sciences sociales, sciences de l’environnement, économie de l’environnement, entreprenariat, développement durable et investissement d’impact) [9]. Bien que le champ d’action actuel de BlueSeeds soit principalement tourné vers la mer Méditerranée, à terme son objectif est de transposer les solutions qu’il développe à l’intérieur de la Méditerranée à d’autres régions du monde.

Références

[1] Sala E, Giakoumi S (2018) No-take marine reserves are the most effective protected areas in the ocean. ICES Journal of Marine Science, 75, 1156–1159.

[2] Coad L, Watson JE, Geldmann J, Burgess ND, Leverington F, Hockings M, Knights K, Di Marco, M. (2019) Widespread shortfalls in protected area resourcing undermine efforts to conserve biodiversity. Frontiers in Ecology and the Environment, 17, 259-264.

[3] Gill DA, Mascia MB, Ahmadia GN, Glew L, Lester SE, Barnes M, Craigie I, Darling ES, Free CM, Geldmann J, Holst S, Jensen OP, White AT, Basurto X, Coad L, Gates RD, Guannel G, Mumby PJ, Thomas H, Whitmee S, Woodley S, Fox HE (2017) Capacity shortfalls hinder the performance of marine protected areas globally. Nature, 543, 665-669.

[4] Maxwell SL, Cazalis V, Dudley N, Hoffmann M, Rodrigues ASL, Stolton S, Visconti P, Woodley S, Kingston N, Lewis E (2020) Area-based conservation in the twenty-first century. Nature, 586, 217-227.

[5] Claudet J, Loiseau C, Pebayle A (2020) Critical gaps in the protection of the second largest exclusive economic zone in the world. Marine Policy, 124, 104379.

[6] Deutz A, Heal GM, Niu R, Swanson E, Townshend T, Zhu L, Delmar A, Meghji A, Sethi SA, Tobin de la Puente J (2020) Financing nature: closing the global biodiversity financing gap. The Paulson Institute, The Nature Conservancy, and the Cornell Atkinson Center for Sustainability. 256 pp.

[7] Johansen DF, Vestvik RA (2020) The cost of saving our ocean – estimating the funding gap of sustainable development goal 14. Marine Policy, 112, 103783.

[8] Binet T, Diazabakana A, Hernandez S (2015) Sustainable financing of Marine Protected Areas in the Mediterranean: a financial analysis. VertigoLab, MedPAN, SPA/RAC, WWF Mediterranean. 115 pp.

[9] Bos M, Pressey RL, Stoeckl N (2015) Marine conservation finance: the need for and scope of an emerging field. Ocean and Coastal Management, 114, 116-128.

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